Les manchots à jugulaire mesurent environ 76 cm. Ils sont facilement reconnaissables à la fine bande noire qui entoure leur tête. Crédit : Chris Oosthuizen

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Des chercheurs ont formé des algorithmes d'apprentissage profond pour calculer la quantité de nourriture des manchots à jugulaire.

Le projet, financé par l'Antarctic Wildlife Research Fund et le Research Council of Norway, a été dirigé par des chercheurs sud-africains, avec la participation d'écologistes et de spécialistes des données de France, d'Australie et de Norvège. Publié dans un article de la Royal Society Open Science, c'est la première fois que l'alimentation des manchots est étudiée à l'aide de techniques d'apprentissage en profondeur. Des méthodes similaires ont déjà été testées sur des animaux marins plus grands, notamment les tortues et les baleines.

Les manchots à jugulaire (Pygoscelis antarcticus), qui sont appelés ainsi à cause de l'étroite bande noire sous leur tête, se nourrissent presque exclusivement de petits crustacés marins, le krill de l'Antarctique (Euphausia superba). Un article publié cette année dans la revue Global Change Biology les classe, avec les manchots de Humboldt (Spheniscus humboldti) et les manchots africains (Spheniscus demersus), parmi les 18 espèces de manchots les plus vulnérables de la planète. Les changements environnementaux en mer dus au climat, la pêche industrielle et d'autres pressions humaines sont les plus grandes menaces qui pèsent sur eux.

L'Antarctique compte environ 3,42 millions de couples reproducteurs de jugulaires, les plus fortes concentrations se trouvant dans la péninsule antarctique occidentale, selon la première évaluation mondiale de l'espèce, publiée en 2020 dans la revue Scientific Reports.

"Bien qu'elle y soit abondante, la population régionale de l'Antarctique occidental est en déclin depuis au moins les années 1980. Ce phénomène est probablement lié à une diminution de la disponibilité de la nourriture", explique Chris Oosthuizen, chercheur au Centre for Statistics in Ecology, the Environment and Conservation (SEEC) de l'université de Cape Town, Afrique du Sud, qui gérait l'article de la Royal Society Open Science.

De minuscules caméras vidéo attachées avec du ruban adhésif imperméable au dos des manchots à jugulaire ont été utilisées pour filmer la façon dont ils chassent le krill au large des îles Orcades du Sud, dans la péninsule antarctique occidentale. Crédit : Chris Oosthuizen

L'évaluation de la quantité d'aliments consommés par les jugulaires s'est avérée difficile, étant donné que ces oiseaux chassent sous l'eau dans des conditions glaciales, explique l'auteur principal Stefan Schoombie, associé au SEEC et à l'Institut national sud-africain des sciences théoriques et informatiques (NITheCS).

Au passé, les chercheurs ont eu recours au pompage du contenu de l'estomac des oiseaux pour estimer la consommation de proies. . Maintenant, il existe des méthodes de collection des données moins invasives. L'une d'entre elles, qui a fourni des données précieuses, consiste à capturer les oiseaux et à fixer de petites caméras vidéo pour enregistrer leurs chasses. Les technologies de biologisation telles que les accéléromètres et les capteurs de profondeur sont utilisées pour recueillir des informations sur les mouvements du corps et la profondeur à laquelle les oiseaux de mer nagent.

"Avec la vidéo, on ne peut recueillir que quelques heures d'images avant que la batterie ne s'épuise, alors que les accéléromètres durent des jours et peuvent recueillir de grandes quantités de données", explique M. Schoombie.

Les méthodes d'apprentissage profond automatisent l'analyse manuelle, qui prend beaucoup de temps pour l’analyse de mois de données de terrain et de téraoctets de vidéos brutes, de audio ou de données d'accéléromètre.

Dans le cadre de l'étude de la Royal Society Open Science, M. Schoombie a construit de minuscules caméras vidéo et les a fixées, à l'aide de ruban adhésif imperméable, sur des manchots à jugulaire se nourrissant au large des îles Orcades du Sud, dans la péninsule antarctique occidentale, à l'aide d'un accéléromètre et d'un capteur de profondeur. Il a ensuite examiné toutes les séquences vidéo et enregistré les moments où les manchots capturaient du krill. Les informations recueillies ont été utilisées pour former deux algorithmes d'apprentissage profond basés sur deux technologies connues des spécialistes de l'IA, à savoir un réseau neuronal convolutif (CNN) et un modèle V-Net, afin de "reconnaître" les événements de capture de proies, en se basant uniquement sur les mouvements du corps et les données concernant la profondeur.

M. Schoombie indique que leurs travaux seront présentés en août au Chili lors de la conférence Open Science du Comité scientifique pour la recherche antarctique (SCAR). Ils espèrent ainsi renforcer le processus de révision du programme de surveillance des écosystèmes (CEMP) de la Commission pour la conservation de la faune et de la flore marines de l'Antarctique (CCAMLR), la commission internationale responsable de la conservation des écosystèmes marins de l'Antarctique. Les Chinstraps comptent parmi les nombreux prédateurs marins dépendant du krill que le CEMP surveille depuis les années 1980.

"L'arrivées de nouvelles technologies et méthodes pourrait potentiellement renforcer la capacité du CEMP à attribuer les changements dans le fonctionnement des écosystèmes aux effets de la pression de pêche ou aux changements environnementaux induits par le climat. Des méthodes plus récentes, telles que les réseaux de caméras ‘time-lapse’ fonctionnant à distance, sont déjà utilisées. Ces efforts peuvent être étendus plus largement pour améliorer la surveillance des prédateurs marins", déclare Oosthuizen. Il pense que les algorithmes de son équipe de projet pourraient également être entraînés pour mieux comprendre la consommation de proies des manchots Gentoo, Adélie et africains.

Les co-auteurs Loréne Jeantet et Emmanuel Dufourq de l'Institut africain des sciences mathématiques (AIMS Afrique du Sud et Centre de recherche et d'innovation, Rwanda), de l'Université de Stellenbosch et du NITheCS, espèrent que leurs efforts contribueront à orienter la conservation de cette espèce antarctique et à fixer des limites raisonnables à la pêche commerciale du krill dans l'océan Austral.